Q : Comment faut-il vous présenter : écrivain francophone, poète africain… ?
L’écrivain n’a pas à se présenter lui- même. Son œuvre le présente au public comme une carte de visite, des fois mieux qu’une carte d’identité. Je signalerai tout de même que les épithètes « francophone » et « africain » traduisent des évidences mais que, dans le contexte de la mondialisation et compte tenu de la mission que s’assigne tout écrivain, elles n’ont pas beaucoup d’importance. Quelles que soient sa langue d’expression et sa race, un auteur aspire à l’universalité, ce qui n’est nullement en contradiction avec la diversité que toute œuvre originale porte en elle et qui constitue son apport précieux au dialogue indispensable des cultures pour la paix.
Q : Vous venez d’effectuer une visite éclair au Maroc dans le cadre du Programme « Le Français dans tous ses états », qu’est ce qui vous a le plus marqué ?
Ce fut une visite de courte durée mais fructueuse. Je remercie les étudiants sénégalais de Kénitra qui ont proposé à l’Institut Français de Rabat de m’inviter dans le cadre de cette belle manifestation littéraire qu’est « Le Français dans tous ses états » qui s’est déroulée du 20 au 25 avil 2009, dans différentes villes du royaume chérifien. J’ai rencontré des auteurs francophones que je ne connaissais que de réputation tels le Franco- Camerounais Eugène Ebodé et le Roumain Dan Lunqu. J’ai surtout découvert des villes marocaines qui s’embellissent et se modernisent : Oujda, Tétouan et bien sûr Kénitra. J’ai rencontré des étudiants, des professeurs et des hommes de culture autour du thème toujours actuel de l’engagement littéraire. De tout mon séjour, j’avoue que c’est l’entretien que j’ai eu au Centre Culturel Français de Kénitra avec les membres de la Confédération des Elèves, Etudiants Stagiaires Africains au Maroc (CESAM) et celui que j’ai eu avec les étudiants sénégalais de Tétouan qui m’ont le plus marqué. Ces discussions m’ont permis d’aborder le sujet de l’émigration en prenant comme prétexte mon deuxième recueil de poèmes PEPITES DE TERRE.
Q : Betty Allen votre dernier roman décrit un choc de culture pour faire allusion à une rencontre entre deux personnes de nationalités différentes. Quel message a été transmis aux lecteurs ?
En répondant à votre première question, j’ai parlé du dialogue indispensable des cultures. Mon roman, inspiré par les événements terribles du 11 septembre 2001, aux Etats-Unis d’Amérique, est une réplique au livre de Samuel Huntington qui présage le choc des civilisations. La diversité culturelle et linguistique, loin d’ériger des murs d’incompréhension entre les hommes est une raison pour qu’ils se rapprochent, se découvrent, s’enrichissent réciproquement et conjuguent leurs efforts pour bâtir la Civilisation de l’Universel que Léopold Sédar Senghor, en poète visionnaire, prônait dès les années 1933 en défendant et en illustrant l’apport irremplaçable de l’Afrique au monde nouveau qui se construisait.
Q : Qu’est ce que l’Afrique peut apporter au reste du monde, sur le plan culturel ?
Beaucoup. Le monde qui est devenu un gros village grâce aux autoroutes de l’information et de la communication, au développement fulgurant des moyens de transport, est dominé par des préoccupations de plus en plus économiques. Il est assailli par des crises d’ordre matériel mais dont les causes profondes étaient déjà pressenties par des hommes de réflexion comme le philosophe Henri BERGSON dont je ne me lasse pas de répéter la fameuse assertion : « Le monde a grandi matériellement mais il lui manque un supplément d’âme ». L’Afrique est dépositaire de ce supplément d’âme qui est un facteur déterminant dans ce qui doit être un nouvel objectif des peuples s’ils veulent triompher des crises de quelque nature qu’elles soient : le progrès humain au lieu du progrès économique pour paraphraser Joseph Ki- Zerbo.
Q : Nous apprenons que vous avez déjà commencé à écrire en Wolof. D’ où vient cette idée ?
De ma conviction que je n’écrirai pour mes compatriotes qui doivent être mon premier lectorat que lorsque j’écrirai dans ma langue maternelle. Pourvu que cette langue soit enseignée, étudiée et puisse être lue par un grand nombre de Sénégalais. Ecrire en wolof, je dois le signaler, ne m’empêchera pas de continuer à écrire en français car, comme je le crois, la langue de Hugo et de Racine, m’appartient aussi dans la mesure où je l’ai apprise pendant de longues années, où elle contribue largement à ma promotion sociale et professionnelle, où elle me permet de parler à une bonne partie des citoyens de ce monde qui se resserre de plus en plus et rassemble les hommes non pas autour de facteurs qui les divisent mais plutôt autour de ceux qui les rapprochent.
Q : Dans un article de presse, vous insistez sur le fait que l’Afrique, pour s’affirmer, n’a pas « d’autre alternative que de travailler […] et faire confiance à ses propres ressources humaines ». Quel rôle la jeunesse africaine doit-elle jouer dans ce combat ?
Vous évoquez sans doute ma contribution intitulée « Plaidoyer pour la mort du gagne- pain ». Dans tous les pays du monde, la jeunesse représente l’espoir et l’avenir dans la mesure où elle a une mission irrévocable d’assumer la relève. L’Afrique est un continent qui a besoin du travail opiniâtre, rigoureux et intelligent de ses fils pour sortir du sous- développement. L’esclavage, la colonisation et les échanges inégaux ont des conséquences néfastes sur l’évolution de ce continent qui regorge de potentialités humaines et naturelles. Pour combler le retard accumulé tout au long des siècles, les Africains doivent gagner du temps plutôt que d’en perdre. Or, aujourd’hui, la ressource qu’on dilapide le plus inconsciemment en Afrique, c’est le temps. Rien ne se fait à temps, au bon moment, dans les délais requis ni en respectant le quantum horaire indispensable pour parler comme un enseignant que je suis. Et si l’Afrique travaille, pour qui, travaille t- elle ? Les orientations actuelles du travail sont – elles différentes de celles qui prévalaient au temps de la colonisation ? Si pour accéder à l’aide au développement, l’Afrique cède au dictat du FMI ou de la Banque Mondiale, s’engage dans des politiques qui l’endettent davantage et appauvrissent ses populations, quand se développera t- elle ? L’Afrique travaillera contre elle- même tant que sa stratégie de développement ne viendra pas de la réflexion libre et responsable de ses économistes et dirigeants. Tous les pays qui, aujourd’hui, émergent pour se hisser à la hauteur des grandes puissances, se sont d’abord appuyés sur leurs propres ressources humaines et naturelles. Il faut investir rationnellement dans l’éducation mais d’abord réformer sérieusement le système éducatif et procéder à son harmonisation en vue de l’édification des Etats-Unis d’Afrique car l’avenir est aux grands ensembles. Il faut moderniser l’agriculture pour tendre à une relative autosuffisance alimentaire. Il faut accorder une attention particulière aux industries culturelles devenues, avec le progrès technologique fulgurant, un atout qui pèse lourd sur la balance du développement durable. Il faut instaurer un régime démocratique là où il n’existe pas, le consolider là où il existe et partout bannir le népotisme, la corruption et la violation des Lois fondamentales, toutes choses dont les conséquences sont l’instabilité, les guerres civiles et les coups d’Etats. Il faut surtout revoir la nature du partenariat qui lie l’Afrique à ses bailleurs. Les Accords de Partenariat Economique ou APE sont dénoncés à juste raison . Le Président de la République du Sénégal propose à la place des APD ou Accords de Partenariat pour le Développement. L’Afrique doit être courageuse et, comme le Japon, au lendemain de la Seconde Guerre, comme l’Inde aujourd’hui, prendre son destin en main. La jeunesse a un rôle essentiel à jouer dans le développement actuel et futur du continent. Ce sera à elle de prendre véritablement en main le destin de l’Afrique, ce continent qui devra de façon incontournable prendre le relais quand le monde libéralisé à outrance aura perdu le souffle C’est pourquoi l’émigration qui n’est pas une mauvaise chose en soi m’inquiète quand je constate le nombre de plus en plus important d’intellectuels, de chercheurs, de diplômés de l’enseignement supérieur ou simplement d’ouvriers qui restent après les études ou la formation ou qui vont chercher fortune hors d’Afrique. L’Afrique a besoin de sa jeunesse pour réussir son développement et son unité.
Q : Quel regard portez-vous alors sur l’initiative de certains jeunes qui veulent s’investir pour une éventuelle prospérité du continent ?
Toute initiative d’un jeune ou d’un groupe de jeunes dont l’objectif est d’apporter de la prospérité à l’Afrique ne peut être que bien vue. C’est justement les initiatives positives qui manquent en Afrique. Tout jeune mieux tout intellectuel, tout créateur ou plus généralement tout citoyen devrait être porteur d’un grand projet de développement pour son quartier, sa commune d’arrondissement, sa ville natale, sa région et son pays. Il ne faut pas tout attendre de l’Etat quand l’Etat a besoin de s’appuyer sur nous, de s’inspirer des aspirations émanant de la base pour élaborer et appliquer une bonne politique de développement.
Q : Justement nous venons d’assister ces derniers temps à des manœuvres politico-militaires dans plusieurs pays d’Afrique qui poussent les jeunes à s’expatrier. Pensez-vous que le lot des africains est de se maintenir dans le statu quo ?
Comme je l’ai suggéré tout à l’heure, un pays a besoin de stabilité pour se développer. Un régime démocratique a l’avantage de créer un consensus autour de l’essentiel. Ce consensus est la base d’une unité nationale pérenne qui est un des facteurs essentiels de tout développement durable. Aucun pays ne peut prospérer dans la dispute quotidienne du pouvoir, dans la confrontation permanente des partis politiques Je ne crois pas que les Africains se taisent et regardent, indifférents, ce qui se passe de négatif chez le voisin. De plus en plus, je constate non sans fierté, que les dirigeants africains s’impliquent eux- mêmes pour contribuer à la résolution des conflits internes ou inter- étatiques et ne laissent plus cette initiative aux occidentaux. L’Union Africaine s’implique aussi là où s’imposait l’ONU. Cependant, les problèmes internes d’un Etat sont si complexes qu’une contribution extérieure se fait avec certains préalables sans lesquelles elle est perçue comme une ingérence vite décriée.
Q : Ce que vous aimez le plus chez les africains?
Un adage wolof résume ce que l’Afrique apporte au monde et qui est une attention particulière à l’humain qui est plus important que le matériel et l’économique : « l’homme est un remède pour l’homme ».
Q : Ce que vous regrettez le plus… ?
L’Afrique manque de confiance en elle- même.
Q : Quel est votre rêve de bonheur
Ce qui me rendrait heureux en tant qu’homme, c’est d’assister à la réussite de mes enfants, en tant que citoyen de pouvoir donner le meilleur de moi- même au Sénégal, mon pays, pour lequel je nourris de grandes ambitions et en tant qu’écrivain d’être retenu par la postérité.
Q : Un mot sur la CESAM ?
La Confédération des Elèves, Etudiants, Stagiaires Africains au Maroc, comme son appellation ne l’indique pas, regroupe des élèves et des étudiants venus de différents pays d’Afrique noire, de Madagascar et des Comores Je ne peux que saluer l’initiative qui a consisté à créer un cadre de rencontres et d’échanges pour renforcer des rapports de fraternité qui sont déjà manifestes mais surtout pour réfléchir sur des problèmes liés au séjour en terre marocaine et sur d’autres concernant des perspective d’avenir . Votre Confédération est une sorte de préfiguration de la manière dont les Africains doivent gérer désormais leur destin : se mettre ensemble, réfléchir par eux- mêmes et pour eux- mêmes, retenir eux- mêmes les solutions adéquates aux problèmes qu’ils ont eux- mêmes identifiés et s’entendre sur les moyens et les modalités d’application de ces solutions. Votre séjour au Maroc vous permet de comprendre que le développement est d’abord endogène : on s’appuie sur les compétences nationales pour mettre en valeur les ressources naturelles locales. Ensuite, on se tourne vers la coopération bilatérale ou multilatérale ainsi que vers l’aide au développement. Je suis heureux pour les Marocains car j’ai vu que beaucoup de villes sont devenues des chantiers : Casablanca, Oujda, Tétouan. Je vois les ouvriers sur les routes de ces villes en train de travailler. Le système éducatif a connu des réformes avec l’arabe comme véhicule de plusieurs enseignements même si au niveau du supérieur il y a des difficultés en ce qui concerne les disciplines scientifiques. La culture est fondamentale ; elle est, comme disait Senghor, au début et à la fin du développement car elle en est l’esprit ; c’est elle qui lui donne un sens. Vous, jeunes Africains regroupés au sein de la CESAM, vous devez savoir que le développement pour le développement est une utopie. Le développement a un but : au- delà de la création de conditions de vie propices à l’épanouissement de chacun et de tous, c’est la construction d’un homme adapté à son milieu et ouvert aux apports de l’extérieur. Si l’Africain renie les valeurs qui constituent la force de l’Afrique, ne fait pas confiance à l’Africain c'est-à-dire à lui- même, n’essaie pas de vivre selon ses moyens propres et d’ouvrir sa propre voie vers le progrès, c’est qu’il refuse le développe comme l’insinue Axelle KABOU.
* Réponses de l’auteur à une série de questions que le Président de la CESAM,le jeube étudiant Comorien Abdou KARIM, lui a envoyées après son séjour au Maroc dans le cadre de la manifestation « Le français dans tous ses états » organisée par l’Institut Français de Rabat, du 20 au 25 avril 2009.
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